L'enseignement des langues, une rétrospective

Enseignement du latin et du grec

Au début de l'enseignement structuré des langues se trouvait le latin et le grec, langues enseignées à l'école, puis à l'Université du moyen-âge jusqu'aux temps modernes. Et puisqu'il n'était pas jugé utile de parler ni le latin ni le grec, mais simplement de le lire et de l'écrire, l'enseignement pouvait se permettre d'être rigide, grammatical, axé sur le thème et la version (la traduction donc ...).

Pour les autres langues, la débrouillardise était de rigueur dans un monde densément multilingue où se cotoyaient une grande diversité de patois. Seuls 10% de la population française comprend le français en 1789. L'apprentissage sur le tas et l'immersion sont donc de règle. Le billinguisme juvénil était reconnu comme bénéfique et favorisé par l'embauche de nounous étrangères dans les milieux aisés (allemandes en France, françaises en Russie et en Angleterre, etc.). Ce n'est qu'à partir de la fin du 19 ème que la France devient dans la douleur une société monolingue.

Monolinguisme à la française

BERLITZ et l'approche conversationnelle

Berlitz 2

Première rupture à la fin du 19ème avec l'invention d'une nouvelle pédagogie des langues, l'approche conversationnelle par BERLITZ. On apprend à parlant à un natif, sous forme de cours particuliers pour ceux qui ont les moyens, en petits groupes pour les autres. Apparaissent les premières écoles de langue. Berlitz fonde à Paris le "Palais Berlitz" qui trône sur les grands boulevards. On y va rencontrer son prof qui est so friendly (si amical), avec lequel on peut parler de everything, absolutly everything (tout, absolument tout), et qui ne passe plus par la traduction pour enseigner.

 

Formation professionnelle continue et écoles de langues

Formation professionnelle continue 1971

Coup de tonnerre en 1971 ! La Loi Rocard crée une obligation pour les entreprises de former leurs salariés. 1% de la masse salariale est collectée dans ce but par des fonds spacialisés, les OPCA (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés), ce qui représente plusieurs milliards d'euros. Des milliers d’organismes de formation (OF) voient le jour dans les années 80 et 90. C'est l'âge d'or des écoles de langues ! Nombreux sont les anglophones (anglais, américains, mais aussi français) qui passent du statut de professeur à celui de chef d'entreprise à la tête d'écoles de plus en plus prospères. La pédagogie des langues reste résolument conversationnelle et le "prof d'anglais" devient ce qu'on connaît aujourd'hui. Une personne sympa, de préférence anglophone, qu'on rencontre une ou deux heures par semaine, de préférence en tête à tête ou en petit groupe, pour améliorer son anglais...

Aux yeux du public, le cours d'anglais devient une distraction sympathique, qui permet de s'éloigner agréablement du bureau pendant quelques heures. Il est essentiellement gratuit (puisque pris en charge) et n'a donc pas beaucoup de valeur. Absentéïsme et manque de motivation des stagiaires sont au rendez-vous.

Wall Street Institute et l'approche naturelle

Pub Wall Street English

Un OVNI débarque en France dans les années 2000, Wall Street Institute, depuis devenu Wall Street English introduit une révolution méthodologique avec l'approche naturelle des langues de Krashen.

  • Une pédagogie des langues innovante reposant sur une forme de pédagogie inversée (on apprend par soi-même avant de rencontrer le professeur).
  • Des présupposés forts issues des idées de Krashen. Le stagiaire apprend au contact d'une espèce de télénovéla (série bon marché) dont les caractères se comportent de façon caricaturale, ce qui est censé favoriser la mémorisation. Il répète les dialogues à voix haute et s'entraîne intensivement aux basiques.
  • Une approche très commerciale ciblant à la fois les particuliers et les entreprises. Wall Street English fait irruption dans le métro parisien et en retire une notoriété nationale.

Certes les idées de Krashen ne feront pas école, mais Wall Street fait la démonstration qu'ils existe d'autres pistes que le conversationnel.

Des nouvelles technologies pas si innovantes

Cours d'anglais par téléphone

Mon prof d'anglais où je veux quand je veux... Au début des années 2000 apparaissent sur le marché des technologies d'apprentissage des langues inédites.

  • Plateformes de mise en relation avec des professeurs  à bas coût, généralement à l'étranger, aux Philippines ou ailleurs. D'abord par téléphone, ces cours passent en visio conférence.
     
  • Plateformes en ligne (Télélangue, 7-Speaking, Rosetta Stone, ...) déstinées aux écoles de langue, ou directement au grand public sur smartphone (comme gymglish ou duolinguo).

Avec l'apparition de ces nouveaux acteurs, c'est le big business qui s'empare des cours de langues. Une vraie révolution pour les apprenants qui ont désormais leurs cours d'anglais dans leur poche ! Mais l'innovation reste cantonnée au numérique et les approches pédagogiques des langues sont généralement conventionnelles. Repeat after me... Brian is in the kitchen... (Répète après moi... Brian est dans la cuisine...).

 

Effets marketing indéniables mais résultats à la traîne

Pub Duolinguo"97% de réussite ..."; "Garantie de résultat contre remboursement..."; "Formation 4 fois plus rapide...".  "34 heures sur Duolingo = 1 semestre entier à l'université"... Au monde du big business, c'est le marketing qui est roi mais pas nécessairement le client. Ainsi les indicateurs globaux ne semblent pas indiquer que les milliards actuellement dépensés en matière de formation linguistique portent réellement leurs fruits.

Niveau d'anglais des français (Cambridge)

  • Les certifications principalement utilisées en France (TOEIC, BULATS, LINGUASKILL ...) sont des mauvais indicateurs pour l'expression orale qu'elles ne valident pas.
     
  • La formation professionnelle reste en France chargée de remédier aux dysfonctionnements de l'Education Nationale qui, malgré quelques innovations bien pensées (classes bilangues, européennes, internationales), n'a pas réussi à réformer globalement l'enseignement de l'anglais pour les masses.

Le déplacement des ressources pédagogiques vers internet ne suffit probablement pas à révolutionner la pédagogie des langues. Une refonte des méthodes pédagogiques s'avére tout aussi indispensable.

% d'européens par pays affirmant parler suffisamment bien l'anglais pour suivre les nouvelles à la radio ou à la télévision. Source Union Européenne.

Niveau de langue des européens

 

Réformes et fin d'une ère

Réformes de la formation professionnelle

Après trente années de relative stabilité, la formation professionnelle continue a été réformée 5 fois ces dernières années. introduction du DIF puis du CPF, transformation des organismes financiers (OPCA) en Opérateurs de Compétences (OPCO)... Sans rentrer dans le détail de ces réformes, une constante transparaît : la diminution du coût des formations. Ainsi le cours particulier d'anglais facturé 60 à 80 € de l'heure est devenu un cours d'anglais blended à 25 - 35 € de l'heure. il se cherche désormais un destin autour de 12,5 € de l'heure HT (tarif 2019 de prise en charge du CPF) mais nul ne sait si l'évolution s'arrêtera là ?

Ces réformes signent clairement la fin de la pédagogie des langues conversationnelle (trop coûteuse) et / ou des écoles de langue comme on les a connues. Impossible en effet de faire des cours particuliers à 12,50 € de l'heure, sauf peut-être au black avec un étudiant anglophone sympa mais dénué de savoir faire. Il faudrait regrouper 6 stagiaires pour arriver à un taux de facturation qui permette aux écoles de langue de se maintenir, ou encore facturer 5 heures de cours en ligne pour chaque heure de présentiel... Deux évolutions très négatives pour le business modell des écoles de langue.

Nouvelles technologies ou nouvelles pédagogies ?

Intelligence artificielle et apprentissage des langues

Si la fin des écoles de langue traditionnelles semble inscrite dans l'évolution des taux de prise en charge des formations, nul ne sait encore de quoi l'avenir sera fait. Car les besoins en matière d'apprentissage des langues restent intacts et continueront de s'exprimer, quelques soient les réformes. Plusieurs pistes semblent dors et déjà prometteuses.

  • Le retour à des méchanismes de marché classiques. Le client redeviendra un client comme un autre, une personne physique ou une entreprise qui paye pour ses cours d'anglais, et en attend donc des résultats tangibles.
     
  • Les évolutions technologiques, et notamment le développement de l'intélligence artificielle (IA) pour rendre les applications plus "causantes", plus orientées "expression orale", et donc plus pertinentes pour l'apprentissage des langues.
     
  • Les évolutions pédagogiques pour transformer la relations prof / élève et exploiter l'état actuel de la recherche pour concevoir des cours de langue plus pertinents. Introduction des sciences cognitives et du coaching dans l'apprentissage de l'anglais, pédagogie inversée, pédagogie auto dirigée (anglais smart).
     
  • L'évolution du rôle des professeurs de langues, qui cesseront d'être d'aimables grammairiens doués pour la conversation. Afin de devenir de vrais spécialistes de l'apprentissage et de l'accompagnement dans la prise de parole.
     
  • Réduction du besoin d'apprentissage des langues par la diffusion d'appli permettant des traductions simultanées orales instannées et de bon niveau.

Reste à savoir comment ces évolutions prendront corps au cours de la décénie 2020 - 2030.